25 septembre 2024

Source image : site internet studiokalangou.org

Article de Oliva Chabi, membre du comité Diversité de l’AFP Québec

À travers le continent africain et sa diaspora, la tradition de l’entraide et de la solidarité collective est depuis des siècles un pilier de la vie communautaire. Ancrée dans des pratiques ancestrales, la philanthropie au sein des communautés noires se décline sous de nombreuses formes, allant du soutien financier entre membres de la famille aux systèmes d’épargne collective. Ces formes de dons, souvent en dehors des institutions financières formelles, ont longtemps contribué à la résilience sociale et économique des communautés noires à travers le monde. Face aux défis contemporains, ces traditions continuent d’évoluer, offrant des alternatives pertinentes aux modèles classiques de philanthropie.

Les tontines : un pilier de l’économie solidaire

Les tontines sont l’un des systèmes de solidarité les plus anciens et les plus répandus dans les communautés noires. Ce mécanisme d’épargne et de crédit rotatif permet aux membres de contribuer régulièrement à une caisse commune. À tour de rôle, chaque participant-e reçoit l’intégralité de la somme collectée. Ensuite, cette personne l’utilise souvent pour des investissements dans des petites entreprises, des projets éducatifs, ou la construction de logements. Ce modèle d’économie collective est particulièrement efficace pour répondre aux besoins locaux, surtout dans les zones rurales où l’accès aux services bancaires formels demeure limité.

Stuart Rutherford, dans « The Poor and Their Money » (2021), souligne l’importance des tontines dans les économies où les services bancaires traditionnels sont inaccessibles ou inadaptés. Ces associations permettent aux familles de surmonter des crises financières et de mener à bien des projets ambitieux sans dépendre des institutions financières classiques. Dans ces systèmes, la confiance et la réciprocité sont des valeurs centrales, garantissant leur bon fonctionnement.

L’économiste sénégalais Felwine Sarr, dans « Les lieux qu’habitent mes rêves »  (2021), approfondit ces réflexions en montrant comment des modèles économiques fondés sur la coopération et la solidarité peuvent offrir des alternatives aux structures financières conventionnelles. Il explique comment les pratiques traditionnelles, telles que les tontines, peuvent contribuer à bâtir une économie plus inclusive et durable.

Solidarité familiale et générationnelle : une force indéniable dans la philanthropie des communautés noires

La philanthropie au sein des communautés noires repose également sur une solidarité familiale et intergénérationnelle d’une rare intensité. La famille, dans ces cultures, dépasse souvent le cercle restreint des parents proches et inclut des cousin-e-s, oncles, tantes et même des membres de la communauté qui ont tissé des liens de longue date. Ce réseau de soutien mutuel devient une véritable bouée de sauvetage en temps de crise : que ce soit pour des dépenses médicales, l’éducation des enfants, ou encore la reconstruction après une catastrophe.

Le concept d’« Ubuntu », omniprésent dans de nombreuses sociétés d’origine africaine, illustre cette réalité. Signifiant « Je suis parce que nous sommes » , il exprime une philosophie selon laquelle l’individu ne peut prospérer qu’en s’assurant du bien-être de la communauté dans son ensemble. L’anthropologue John S. Mbiti, dans son ouvrage « African Religions and Philosophy » (2022), décrit cette interdépendance comme une valeur fondamentale de la vie sociale africaine et un pilier de la solidarité collective.

De plus, Efosa Ojomo et Clayton Christensen, dans leur livre « The Prosperity Paradox: How Innovation Can Lift Nations Out of Poverty » (2019), examinent la manière dont les traditions philanthropiques et les réseaux de solidarité familiale peuvent jouer un rôle crucial dans le développement économique des pays africains. Ils proposent que les systèmes traditionnels, tels que les tontines, soient complétés par des innovations modernes pour stimuler la croissance durable et inclusive.

La diaspora noire : un soutien vital pour les économies locales

La diaspora des communautés noires contribue de manière significative à la perpétuation de ces pratiques de solidarité à travers ses envois de fonds. D’après la Banque mondiale, les transferts d’argent des diasporas vers leurs familles restées en Afrique subsaharienne ont atteint 53 milliards de dollars en 2022.[1] Ces fonds sont souvent affectés à des projets communautaires tels que la construction d’écoles, de centres de santé et la modernisation des infrastructures. En s’adaptant à l’évolution technologique, ces réseaux de solidarité traditionnels trouvent aujourd’hui une nouvelle forme grâce aux plateformes numériques de tontines, qui facilitent la transparence et la gestion des fonds tout en maintenant les valeurs fondamentales de confiance et de responsabilité collective.

Il est essentiel de reconnaître que la philanthropie prend des formes variées à travers le monde. Pendant qu’en Amérique du Nord, la générosité s’exprime souvent par des dons à des organisations caritatives, la philanthropie des communautés noires repose principalement sur des pratiques collectives, intergénérationnelles et communautaires. Que ce soit par les tontines, les réseaux de solidarité familiale ou les actions de la diaspora, ces traditions illustrent un profond sens de la résilience et du partage. La solidarité transcende les frontières et les cultures. Ce n’est pas seulement un geste d’entraide, mais une philosophie de vie, où l’on s’assure que personne ne soit laissé de côté.

À propos de l’auteure

Conseillère en développement philanthropique, Oliva Chabi met ses compétences au service de projets visant à réduire les inégalités. Avec une expertise en levée de fonds, elle s’engage activement pour l’épanouissement des communautés marginalisées. Citoyenne du monde grâce à son parcours international, elle œuvre à promouvoir l’équité sociale en s’engageant au sein du comité IDEA de l’AFP.

 

[1]Site internet de la Banque mondiale. Les envois de fonds des migrants résistent, mais marquent le pas, [En ligne], 2023. [https://www.banquemondiale.org/fr/news/press-release/2023/06/13/remittances-remain-resilient-likely-to-slow?_gl=1*190yxup*_gcl_au*MTYxMDQzNTM4OS4xNzI2NzczMDY5] (consulté le 25 septembre 2024)